De l’art de s’habiller et d’habiller ses pensées
Noël approche et dans presque tout magasin a été dressé un petit comptoir réservé à la confection des paquets cadeaux. Nous aimons tous offrir et recevoir des jolis paquets aux belles couleurs et aux rubans bien noués. A nom de quoi, alors, la plupart de nos semblables se couvrent de frusques mal coupées, ternes et froissées ? Nous entendons déjà le chœur des fâcheux s’insurger contre notre superficialité et notre culte de l’apparaitre, convaincus comme ils le sont que « élégance » ne rime pas avec « intelligence ». Essayons de les éclairer un peu dans leurs abimes de ténèbres…
La véritable élégance est celle qui traduit dans le choix de ses vêtements sa propre façon de penser. Une pensée élégante correspond à un habillage élégant. Effectivement trop souvent les ignorants considèrent une mise correcte comme un signe d’attitude superficielle. Loin de là ! Un habit de qualité témoigne à la fois du soin qu’on porte à soi même et de l’amour pour les belles choses, pour les belles matières et le travail bien fait. Pour quelle raison l’homme intellectuel (ou que se dit tel) devrait mépriser les habits de bonne facture et s’habiller en clochard (comme par exemple le très controversé dernier prix Goncourt) ? Si telle est son attitude, voici démasquée sa véritable superficialité : pour donner du crédit à sa posture intellectuelle, il adopte une pose, il se doit de se présenter comme un ascète loin de l’attrait des vanités terrestres.
D’autre part, on ne peut que sourire avec indulgente commisération (nous avons failli écrire « on ne peut que condamner », mais ce serait trahir l’esprit de légèreté de cet blog) des freluquets pour qui le beau vêtement n’est qu’une fin en soi. On
remarquera par ailleurs que dits inoffensifs personnages ne font que « suivre la mode » fort dispendieusement, tandis que l’homme élégant
habille son corps avec « style ». Et, si on veut aller encore plus loin : si toute expression humaine est considérée comme une
matérialisation de l’esprit, il faudrait considérer l’élégance des vetements et du portement au même rang que les beaux arts, la musique ou la littérature. Pour revenir à notre opposition entre
« freluquets » et « hommes élégants » : les premiers achètent ce que propose
l’offre commerciale du moment, les seconds choisissent et souvent portent les mêmes types des vêtements (voir les mêmes vêtements) pendant une vie entière.
Nous avons nommé ci-dessous la notion de portement. Les suiveurs de la mode, si on les observes avec un peu d’attention, sont toujours un peu mal à l’aise : pour être « in » s’imposent des oripeaux souvent inconfortables (on observe alors des jeunes hommes au cou emprisonné par des monstrueux cols de chemises qui vont des oreilles aux épaules et des jeunes femmes en équilibre sur des talons aguilles leur donnant des allures de flamands roses…).
L’homme élégant est à l’aise et confortable dans un costume rayé en flanelle trois pièces ou dans un tweed rugueux car son corps habite son vêtement, car l’image qu’il offre au monde reflète celle de sa personnalité. Il ne recherche pas ce qui est nouveau ni ce qui « lui donne l’air de », mais ce qui correspond à la transposition visuelle de son âme. Il choisit son habit comme il choisit ses paroles. En revanche, l’adepte du « dernier cri » endosse sans discernement des habits imposés par les services marketing des grandes chaines ou par les pages des hebdomadaires. C’est qu’il est encore plus embarrassant, il choisit ses opinions et ses pensées dans les talk show diffusé en prime time et ses mots et traits d’esprit ne sont que l’imitation des prouesses de quelques célébrités télévisuelles. L’originalité et l’affirmation de soi ne semblent pas être des valeurs très prisées.
Conscient du fait que nous sommes entré dans un débat subjectif qui risque de ne pas connaitre une fin, tant il est passionnel et basé sur des considérations de goût personnel, nous allons prendre congé, convaincus que sans élégance de l’âme, il n’y a que des « asini vestiti a festa » (savoureux dicton italien qu’on peut traduire par « des ânes endimanchés).
Illustration : caricature de Noël Dorville : Le Marquis Boni de Castellane et Arthur Meyer
Cet article est né à l’origine sous la forme d’un commentaire à un article du blog « Le chouan des villes » que nous apprécions et recommandons.