Nous avons appris à aimer une certaine american way of life en regardant les tableaux et dessins de Norman Rockwell : on y voit des écoliers qui distribuent des journaux avant leurs cours, des boutiquiers souriants, des bons pères de famille au volant de rutilantes Cadillac … bref, tous les symboles d’un imaginaire collectif qui ont fait plus que le Plan Marshall pour ancrer l’image d’une Amérique bienveillante et accueillante dans les esprits européens… Avec le temps, ces images idylliques nous font regretter ce monde lointain, chaleureux et confiant, dont le sommet allait être atteint au cours de l’été 1969, quand le drapeau à stars & stripes fut planté sur le sol lunaire… Des biens belles images, une bien belle histoire, mais que cachaient-elles ? Pas de drames, pas des obscures machinations gouvernementales telles que ce plaisent à imaginer les obsédés de la théorie du complot, mais une machine conformiste, réglée dans les plus infimes détails. Un monde codifié, certes, mais bien loin, toutefois, de l’uniformisation brutale et imposée qui régnait à l’époque de l’autre côté du rideau de fer. Pour bien comprendre ce monde de carte postale, rien ne vaut la plume du belge Simenon, qui dans « La boule noire » nous décrit les affres d’un individu qui, pendant quelques courtes semaines, se plait à jouer les anarchistes dans sa tête, car il se sent victime et étranger à la société américaine. En réalité, il n’en est rien, il traverse simplement la crise de l’homme mûr, qui voit ses rêves idéalistes s’évanouir et comprend que le monde est une vaste comédie, et qu’il faut jouer le rôle comme tout bon acteur.
Georges Simenon, La boule noire, dans la collection « Le monde de Simenon » éditée par Le Monde.