Si la plupart des commentateurs ont voulu retrouver dans « La Grande Bellezza » des traces de la fellinienne « Dolce Vita », nous penchons plutôt pour « La Terrazza » de Ettore Scola. Autant le film de Federico Fellini fait continuellement l’aller-retour entre le monde futile et faussement brillant de Via Veneto et des horribles banlieues déshéritées (les « borgate » chères à Pasolini), autant les personnages de « La Terrazza » ne sortent jamais de leur microcosme haut-bourgeois, mais malgré cela ne sont pas inconscients de la marginalité de leur vie. Marginalité tout assumée, voir vantée avec orgueil, car quel plus subtil plaisir que de se savoir témoins lucides d’un monde qui disparait en faisant semblant de vivre à l’infini ?
Rares sont les films ou les livres qui ont su si efficacement traduire l’âme de Rome. Rome, suprême enjeux de luttes et de conquête depuis l’Antiquité jusqu’à l’aube de l’Ere Moderne, habituée à être envahie, occupée par des dizaines d’armées étrangères, et toutefois toujours capables de les phagocyter, de les « romaniser » au cœur de ses rituels lents et de sa langueur méditerranéenne. Rome, dont le souvenir d’un empire immense dispense de toute velléité de prouver sa valeur dans le monde contemporain, sure de son passée et de sa supériorité, telle une grande dame aristocratique regardant avec indifférence et un brin de mépris de bon aloi les gesticulations d’une foule de jeunes roturières assoiffées de réussite sociale. Rome qui, ayant appris il ya deux-mille ans le principe de « Graecia capta coepit ferum victorem », exténue et suffoque dans ses bras tout conquérant venu d’ailleurs.
« La Grande Bellezza », un film peut être un peu trop long, mais l’étirement des jours dans une langueur indolente n’est pas depuis toujours le caractère premier de l’éternité, et donc quel meilleur hommage pour la ville qui se veut justement éternelle ?