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21 avril 2011 4 21 /04 /avril /2011 21:26

Ou comment les grandes religions peuvent connaître des crises d’adolescence et de l’art de les éviter dans la mesure du possible.

Pendant que le vent de l’Histoire souffle et que les avions vrombissent dans les cieux méridionaux de la Méditerranée, nous assistons en France et aussi dans le monde à un nouveau déchainement de passions autour de thèmes religieux, dont l’énième boite de Pandore ouverte par l’exécutif français avec le lancement d’un débat sur l’Islam et la laïcité, sujet explosif si en est.

gesuitiPrécisons tout d’abord notre position : la laïcité de l’Etat n’est pas un choix ou une option, ni une opinion. C’est un fondement irrévocable. Notre système occidental, qui n’a cessé de se transformer et se consolider depuis le 17ème siècle repose sur trois piliers : la représentativité parlementaire, le suffrage universel et la laïcité.

De tout temps, le principe de laïcité a été attaqué par les éléments le plus obscurantistes ; un exemple pour tous : on fête actuellement les 150 ans de l’unification italienne. Il ne sera pas inutile de rappeler que le moteur de cette épopée fut le royaume de Sardaigne et son Premier Ministre, le comte de Cavour. Au cours des dix ans qui allèrent  de la défaite de Novara (1849) à la conquête de Milan (la Deuxième Guerre d’Indépendance Italienne, celle des batailles de Solferino et Magenta), le gouvernement libéral piémontais engagea une vaste réforme de l’état, pour le porter sur le devant du concert européen. Parmi ces mesures, les lois Siccardi, abolissant les privilèges du clergé qui avaient fleuri dans le royaume. Ces lois n’étaient pas le fait d’un pouvoir jacobin et révolutionnaire, mais d’un gouvernement formé majoritairement d’aristocrats et de quelques rares grands bourgeois. Evidemment, la réaction ²des prélats ne se fit pas attendre : si l’archevêque de Turin dut subir quelques jours de prison pour cause de rébellion, d’autres formes de protestation prirent des tournures plus pittoresques, comme les anathèmes de Don Giovanni Bosco (le fondateur des Pères Salésiens)  visant la famille royale…  La tradition veut que, sur son lit de mort, le Comte de Cavour ait murmuré ces derniers mots : « Libera Chiesa in libero Stato » (Libre Eglise en Libre Etat).

Le triomphe du principe de laïcité en Europe permit notamment l’émancipation des minorités religieuses, il fut la traduction en termes spirituels de ce que le principe d’égalité est en termes juridiques : la reconnaissance du fait que tous les citoyens sont libre et égaux face à l’Etat, indifféremment de leur origine sociale ou de leur foi. Cela toutefois implique une condition : confiner la pratique religieuse dans la sphère personnelle, sans que cela prime ou empiète sur la vie civile. Certes, ce chemin n’a pas été simple. Pour arriver à l’acceptation de ces principes les pays européens ont employés quelques siècles et répandu quelques litres de sangs. Si aujourd’hui l’Eglise catholique est certes critiquable sur certaines de ses positions, elle n’apparait pas comme un bloc d’intolérance et de suppression des mécréants. Cela ne doit pas faire oublier le fait que pendant des siècles cette même Eglise n’hésita pas à bruler, torturer ou tout simplement rendre la vie impossible à ceux qui ne se soumettaient pas à ses préceptes : la France anticléricale et maçonnique vénéra pendant des années la mémoire du Chevalier de La Barre. En revanche, il serait erronée de considérer la Saint Barthélemy comme un moment d’intolérance religieuse : il s’agissait plutôt d’éliminer d’une façon fort expéditive une faction politique adverse, de la même façon où Adolf Hitler  se débarrassa d’alliés devenus gênants lors de la Nuit des Longs Couteaux.

Dans sa longue histoire, l’Europe a connu bien des horreurs. Ils lui ont permis, comme toute maladie infantile et crise d’adolescence, de la faire grandir et évoluer, pour atteindre un niveau de maturité politique et sociale élevé. Il est possible d’affirmer que ce niveau fut atteint au milieu du 19ème siècle. Cette évolution vers une certaine mansuétude dans les rapports humains se trouva d’ailleurs confirmé par la création de la Croix Rouge et la première Convention de Genève, en 1864, sur le traitement des blessés et des prisonniers de guerre.

Si presque deux mille ans ont été nécessaires à la culture occidentale pour atteindre ces niveaux de tolérance (et aussi, malheureusement, un certain goût pour l’autodénigrement, qui culmine dans des grotesques demandes de pardon…), il ne faut pas s’étonner du fait que certaines religions plus récentes demeurent encore sur des positions plus rigoristes et moins souples… Toute la difficulté et l’art d’une politique éclairée et de leur permettre de quitter le plus rapidement possibles ces vestiges, d’une façon le plus possible spontanée et partagée. Le grave erreur, compte tenu que les signes extérieurs d’appartenance sont le plus souvent le fait d’une minorité marginale, est d’en stigmatiser les pratiques et les interdire. Personne ne doit pouvoir obliger une femme à sortir dans la rue complétement voilée (et ceci est vrai pour toute forme de vêtement), en revanche si tel est son bon plaisir elle doit pouvoir le faire, tout comme elle doit pouvoir arborer des courtes tenues qui auraient provoqué une syncope aux vertueux sujets de la reine Victoria. La limite doit être le bon sens : dans certains lieux la tenue doit être correcte et conforme, pas trop couverte ni trop découverte ! Légiférer, imposer, réprimer, bien que partant d’un  louable principe d’application de laïcité, conduit immanquablement à la sensation, en les personnes visées, d’appartenir à une minorité opprimée, meilleur façon de fabriquer à terme des aspirants martyrs prêts à tout. La croissance de l’esprit n’est pas le seul fait des personnes, où  chaque âge apporte son supplément de pondération, de détachement, de vision équilibrée des choses… Ce qu’on pourrait pompeusement appeler sagesse. Il en va de même pour les institutions humaines : une jeune religion sera zélée et excèdera dans le prosélytisme, tandis qu’une autre plus engagée sur le chemin de l’âge (dont l’unité de mesure sont les siècles et les millénaires) fera preuve d’une plus grande compréhension et de tolérance pour les égarements par rapport à des percepts de moins en moins stricts.

Idéalement, une société moderne serait une société entièrement laïque, où les choix spirituels demeureraient totalement anodins et confinés à la sphère personnelle, tout comme le choix d’une cravate, du papier peint ou de la sonnerie du téléphone portable. Hélas, il n’en est rien. Si le sentiment majoritaire est de plus en plus éloigné des réflexions mystiques, ses manifestations les plus bruyantes envahissent les chroniques : cela va des prières en pleine rue aux actes de crétinisme triomphant, comme bruler des exemplaires du Coran ou photographier un crucifix plongé dans l’urine (le Piss Christ qui vient d’être vandalisé). Ce dernier épisode mérite qu’on s’y attarde un instant : l’Art, on l’entend souvent répéter, doit interpeller, questionner, choquer même. Accordons-lui ce droit. Mais pour le faire, elle doit être Art, c'est-à-dire recherche, création, innovation, travail… Guernica de Picasso nous terrifie, l’Origine du Monde de Courbet nous intrigue de façon polissonne, Magritte nous déroute, la Fée Electricité de Dufy nous émerveille, les cardinaux du Bacon nous inquiètent. Qu’ils plaisent ou pas, il s’agit d’artistes qu’ont créé quelque chose. Plonger un objet cultuel, riche de symboles, dans des déchets organiques liquides, n’est pas de l’art, c’est du mauvais gout gratuit. Et, à nos yeux laïques, le mauvais gout est un péché mortel.

Illustration : "Les jésuites chassés de Modène en 1831".

Source : Google images

 

 

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