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Ou du génie en politique

 

La dernière ( ?) charge du Cavaliere

Qu’il soit chassé du Sénat avec infamie ou qu’il garde son siège à la suite d’une de ces pirouettes institutionnelle dont la politique italienne a le secret ; qu’il soit assigné à résidence ou libre de se déplacer comme bon lui semble ; qu’il soit trainé dans la fange comme un bandit de grand chemin coupable d’avoir sali de ses gros sabots les temples de la démocratie ou qu’il soit vénéré comme l’énième Saint martyre de la liberté, il est  en dehors de toute possibilité de doute que Silvio Berlusconi ait été, est et peut être sera encore le seul personnage d’envergure de la vie politique italienne depuis vingt ans.

Rappelons brièvement les faits : le 1er aout 2013, la Cour de Cassation (instance ultime d’appel dans la procédure pénale italienne), au bout d’une saga judiciaire de douze ans, confirme la condamnation de Silvio Berlusconi à quatre ans de prison et surtout à l’inéligibilité perpétuelle dans le cadre d’une histoire de fraude fiscale liée à des acquisitions de droits télévisuels par le groupe Mediaset, la holding de Mr Berlusconi. Ce dernier n’est pas un novice des prétoires : il y a quelques mois il a déjà été condamné à sept ans d’emprisonnement, en première instance et donc bénéficiant toujours de la présomption d’innocence, pour corruption de mineure. Le sulfureux « Rubygate », du nom de la jeune prostituée protagoniste de l’histoire, a pendant un instant ramené aux fastes de jadis les personnages le plus aimés des comédies désinvoltes italiennes des années ’70 : les notables vieillissants et dévorés par un subit retour du démon de midi et les jolies donzelles dont la vertu est inversement proportionnelle à la profondeur du décolleté.

Toutefois, dans ce cas le jugement n’est pas définitif, et vue la vitesse à laquelle procède la justice italienne (il est question, pas exemple, de rouvrir une nouvelle procédure sur l’attentat de Piazza Fontana, à Milan, qui date de 1969…) Silvio Berlusconi n’a pas à s’inquiéter. En revanche, le jugement Mediaset est définitif et, selon le Code de procédure pénale actuellement en vigueur (et nous attirons volontairement l’attention des lecteurs sur l’adverbe « actuellement »), il n’y a plus de recours pour le Cavaliere pour affirmer son innocence. Ce n’est pas le spectre hautement irréaliste d’un emprisonnement (que la République Italienne est lointaine des Etats Unis et de l’exhibition de Dominique Strauss-Khan menotté comme un vulgaire dealer !) ni celui de voir l’ancien président du Conseil expier ses méfaits dans des travaux d’utilité sociale qui hante en ce jour le Popolo della Libertà (le parti de Mr Berlusconi, allié et pilier du gouvernement de « larges ententes » d’Enrico Letta, avec le Partito Democratico de gauche et les centristes de Scelta Civica) et son leader, mais le risque bien réel que, en appliquant la loi anticorruption votée sous le gouvernement Monti (legge Severino, qui prévoit l’inéligibilité aux charges électives pour tout condamné en dernière instance), le Parlement prononce la déchéance de Silvio Berlusconi de son siège sénatorial. Autour de cette eventuialité, les partis jusqu’à ce moment alliés (quoique forcés…) de gouvernement s’écharpent allégrement,  en mettant en danger les jours d’Enrico Letta comme président du Conseil. L’intenable suspens est destiné à perdurer au moins jusqu’au 9 septembre, quand la commission parlementaire chargée du dossier se réunira pour statuer sur le cas, sauf si les surnommés « faucons » du parti berlusconien ne décident que le moment de la guerre est venu est faire chuter le gouvernement.

Entre temps, Silvio Berlusconi, retranché dans l’une de ses villas, reçoit fidèles et avocats, tandis que des négociations souterraines et intriquées se nouent entre tout ce que la Péninsule compte de politique…

Toges rouges contre marionnettistes noirs

Il est aisé pour les commentateurs étrangers de ne pas arriver à s’expliquer comment un parti installé dans la vie publique de son pays soit prêt à faire sauter un fragile équilibre politique, atteint après des élections à l’issue incertaine, pour défendre son leader qui a été condamné dans une affaire qui n’est pas politique. Il est aisé également de se draper d’indignation devant l’insulte à la magistrature et à la constitution que l’attitude de Silvio Berlusconi semble représenter. Certes dans un pays de tradition anglo-saxonne cela n’arriverait pas : l’homme politique accusé, bien avant toute condamnation, donne immédiatement sa démission et affronte la justice comme un citoyen ordinaire (mais cela est-il vrai ? Ou plutôt s’agit-il de la vision idéalisée que nous, européens du Sud, avons des mœurs politiques du berceau de parlementarisme ?). Il est toutefois vrai aussi que en Italie, depuis les années 90, l’évolution politique est très (trop) souvent passé via des opérations judiciaires : les enquêtes du juge Antonio Di Pietro (ensuite reconverti dans la politique comme leader d’un parti populiste de gauche) eurent raison des vieux partis historiques, poussant Bettino Craxi à l’exile et d’autres au suicide. Les accusations formulées par des repentis de la Mafia contre Giulio Andreotti permirent opportunément de l’écarter de la course à la présidence de la république. Le mythe d’une dérive politique d’une certaine magistrature, à la solde d’une  gauche intransigeante et jacobine, ne pouvait que séduire une partie de la droite, trouvant sa contrepartie dans l’imagination de gauche sous les traits d’un Grand Vieux diabolique, paré de respectabilité mais tirant, dans l’ombre, tous les fils des machinations. La Commedia dell’Arte abandonne donc les personnages souriants d’Arlecchino et Colombina pour mettre en scène les bien plus sinistres et redoutables « Toghe rosse » (les juges « communistes », donc rouges) contraposées au « Burattinaio » (le Marionnettiste, architecte dans l’ombre de tout méfait antidémocratique).  Parfois, pour comprendre la politique italienne et ses mouvements les plus souterrains, il faudrait relire Pinocchio plutôt que Niccolo’ Machiavelli !  

Nous venons de faire un peu de lumière sur une attitude récurrente de la politique italienne, il nous reste maintenant à comprendre comment elle soit réduite à vivre et trépider en fonction des vicissitudes d’un seul homme.

 

Entre Charles Darwin et l’horror vacui

Si nous oublions les grands principes de la philosophie et de la morale et analysons les faits d’un point de vue darwiniste, où la survie prime sur toute autre chose, nous ne pouvons que reconnaitre que l’homme politique qui réussit est celui qui fait preuve de longévité. En appliquant ce critère, les noms qui se détachent dans le panorama de l’histoire de l’Italie républicaine sont les moult fois diabolisés Giulio Andreotti et Silvio Berlusconi. Mais si Andreotti était au milieu d’une arène ou d’autres hommes politiques intervenaient avec une plus au moins bonne fortune, depuis vingt ans Silvio Berlusconi est seul sur scène. Donné comme politiquement mort depuis sa démission forcée en novembre 2011, il lui suffît de se présenter comme chef de la coalition de droite lors des élections de février 2013 pour redevenir le véritable protagoniste de l’échéance électorale. Silvio Berlusconi est astucieux et n’a plus rien à prouver ; il a polarisé toute la vie politique italienne autour de sa personne. Ils n’existent pratiquement pas des programmes politiques en Italie, on est simplement « pour » ou « contre » Berlusconi, ceux qui essayent, fort honorablement  et avec des bonnes bases intellectuelles, de formuler des propositions concrètes sans céder aux passions du « berlusconisme » ou de l’  «anti-berlusconisme » se voit relégué à peine à 10 % des voix… La gauche n’a jamais compris ce fait, et à chaque élection charge désordonnément et en sort en pièces.

Silvio Berlusconi gagnera-t-il sa dernière (en date) bataille contre ses adversaires ? L’actuel bras de fer autour de sa possible déchéance est dicté par l’orgueil de l’homme ou est il le prétexte pour des tractations pour rendre son emprise sur ce fragile gouvernement Letta, que tout le monde veut croire comme irremplaçable et sans alternative, encore plus forte ? Monsieur Berlusconi a tout compris, depuis quarante ans, de la publicité et de la communication. La presse le voulait fini, oublié depuis sa chûte en 2011, sous les coups du spread… Il est revenu, et a imprimé encore une fois sa marque à la politique italienne : on est pour Berlusconi ou contre Berlusconi, mais sans Berlusconi on ne sait pas où se situer dans le panorama politique. Quoi qu’il arrive, entre ombre et lumière, Silvio Berlusconi est entré dans l’Histoire.

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Politiquement conservateur mais trop libre d'esprit pour être un homme de parti.
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